MOURIR DE RIRE (février 2014)

1

J'ai une de ces migraines ! J'ai encore dû abuser de quelques alcools de fermentation naturelle. Ça m'apprendra.
En attendant je suis où ? Je vois vraiment pas.
Je me sens vaseux, ça c'est sûr.
Voyons voir le paysage. Il ne me dit rien.
Si je montais sur ce piton, je pourrais me situer.
De Dieu que ça monte. Pas trop la forme physique en ce moment. Va falloir que je m'y remette. Surtout que si je veux draguer la petite Alma, le gras et les bajoues c'est pas des plus sexy ! Bon quelques fois, mon côté nounours ça m'aide un peu.
Alors, est-ce que j'aperçois un repère géographique ? Que dalle. Ça se complique.
Je veux bien être éméché mais sauf vapeurs toxiques incontrôlées, foi de Boris en général je sais où j'habite. Je connais le coin depuis ma naissance. J'en ai parcouru des forêts, des prairies, des sommets et des vallons dans la région.
Mais là je ne reconnais aucun versant. Aucune crête. Ça craint.
Je fais quoi maintenant ?
Me remplir le ventre ! La journée va être longue. Autant que je ne poursuive pas avec l'estomac dans les talons. Voyons voir ce qu'il y aurait de comestible dans le coin.
Tiens on dirait des myrtilles. Mais différentes de celles que je connais. Je vais goûter en espérant que ce ne sera ni laxatif ni toxique. Hum, c'est bon. Ce sont bien des myrtilles. Délicieuses.
Bon mon gars va falloir te décider pour une direction. Pourquoi pas vers l'ouest ! Il faut bien que j'aille quelque part. Je ne vais pas rester là à moisir en attendant je ne sais quel signe du destin.
Allez hop, en chanson pour me donner du rythme ! Un, deux, trois, je pars dans les bois ; Quatre, cinq, six, cueillir des cassis ; sept, huit, neuf...

2

Décidément c’est à n’y rien comprendre.
J’ai un vague souvenir d’une porte qui s’est ouverte sur une forêt dans laquelle je me suis engouffré, titubant et somnolent. Après m’être aventuré dans le sous-bois, je me suis endormi, comateux et là je ne me sens toujours pas très en forme.
Il faut que je me réveille et retrouve mes capacités. Mon odorat et mon ouïe semblent affolés par la perception de nouvelles sensations.
Bon, commencer par trouver un point d’eau pour la toilette, me rafraîchir et pêcher quelques poissons et idées si possible. Mon odorat me dit qu’une rivière m’attend à moins de cinq cents mètres.
Tiens, c'est bizarre, il me semble reconnaître cette odeur ! C'est... c'est le parfum d'Anita. Étrange ! Elle a disparue depuis plusieurs années. Du jour au lendemain.
Mon nez doit être berné par une réminiscence olfactive. À moins qu’un effluve similaire ne soit en train de me tromper. Il me faut être prudent. Il y a comme une tension nerveuse, une électricité dans l’air.
Bon, d’abord me sustenter. Puis établir un plan d’action pour la journée.

3

- Milmo ! Mais... mais qu'est-ce que tu fais là ?
- Salut Boris. Ben, tu sais j'habite ici maintenant. Toi, tu viens d'arriver.
- Oui. Enfin je crois. Je n'y comprends rien. Je me suis réveillé ici sans savoir où j'étais.
- Bienvenu en France mon gars ! Tu fais certainement partie du dernier convoi de déplacés. Bon courage, ça va pas être tous les jours faciles pour t'intégrer. Oh, il y a bien quelques personnes qui cherchent à nous venir en aide, mais il y en a d'autres, des extrémistes, qui ne pensent qu'à nous renvoyer chez nous. Ou à nous tirer dessus ! Il va falloir que tu apprennes à courir et à te cacher si tu veux t'en sortir.
- Mais qu'est-ce que je viens faire dans cette galère ? J'ai rien demandé à personne ! J'étais bien dans mes montagnes, à me promener, cueillir des baies et batifoler dans les champs.
- Je te comprends mais maintenant que tu es là, il est vital que tu te fasses à ta nouvelle vie.
- Je veux bien te croire. Ne serait-ce que pour manger, je n'y comprends pas grand chose. Je t'avoue que là je suis encore complètement paumé.
- Suis-moi. Je vais te présenter à quelques copains et te donner de quoi te remplir la panse en attendant que tu te débrouilles par toi-même. Allez, viens, mais reste aux aguets, on ne sait jamais qui on peut croiser.

4

- Boris, Tu vois cet arbre ? C'est là qu'en 2008 ils ont abattu Sonia. De sang froid. Tu te souviens d'elle, il me semble que vous aviez flirté quelques mois non ?
- Quoi Sonia était ici ? Moi qui croyais qu'elle m'avait largué pour ce lourdeau de Mathéo ! Elle a donc été déplacée. C'est pour cela qu'elle a disparu sans rien dire à personne. Et merde ! Quand je pense que je l'aurai bouffé ce jour là tellement j'étais furieux qu'elle m'ait quitté. Maintenant tu m'apprends qu'elle a été assassinée ! Putain de vie. Comment cela s'est-t-il passé ?
- Le plus simplement du monde. Un tireur était embusqué juste là au-dessus de nos têtes, tu vois, là haut, caché derrière le bosquet. Elle venait de manger et s'était arrêté pour une sieste, à l'ombre, tranquille. Quand soudain, PAN, une balle en pleine tête. Nous avons entendu la détonation à des lieux à la ronde. Ça ne te consolera pas, mais elle n'a pas dû souffrir.
- Et elle est enterré où ?
- Ça impossible de le savoir. Le corps a été enlevé dans la journée même et nous n'avons jamais su où il a été conduit. Bon, on arrive, prépare-toi à une petite surprise.
- J'espère qu'elle sera meilleure que celle que tu viens de me faire.
- Pas de souci, entre tu vas voir.

5

Hum, quelle soirée merveilleuse. Je vous raconte.
Après être entré dans le refuge, j'ai compris quelle était la surprise dont me parlait Milmo : Anita ! C'était donc bien elle que j'avais humé.
Elle était là avec sa jeune soeur Eliva et son frère Roxao.
Avec Anita, alors que nous n'étions encore que des enfants, nous avions pour habitude d'aller nous baigner sous la cascade, à deux pas de nos abris. Je me souviens d'elle et de son sourire qui me faisait fondre. Des premiers regards timides que nous avons échangés sur les berges de ce petit coin de paradis. C'était notre jardin secret où nous partions à la découverte de nos anatomies respectives. Nous étions alors trop jeunes pour passer à l'acte. Nous ne savions même pas ce que c'était qu'un rapport sexuel. Chaque fin de journée nous appartenait. Nous étions à poil et le monde n'existait plus.
Hier, quand nous nous sommes enlacés nos petites truffes se sont frôlées. Puis nous avons passé la nuit l'un contre l'autre, sur une mousse douillette et molletonneuse.
C'était doux et animal en même temps. Cela faisait longtemps que je n'avais pas ressenti une telle chaleur contre mon corps. Quel bonheur que de se réveiller et d'ouvrir les yeux à ses côtés.
Je crois que je suis en train de tomber amoureux.
Bon c'est pas tout ça, mais si je veux faire honneur à ma belle il faut que je me dépêche d'aller au bain. Bain du matin, soirée câlins ! Ouh Ouh Ouh !
Avant tout quelques plantes pour soigner ce léger tambourinement à ma tempe.
Au retour je ramasserai quelques fleurs pour les offrir à Anita.
Tiens, c'est quoi ce bruit ? On dirait des chiens. Ils ont l'air d'être loin, mais je vais quand même me méfier. Milmo m'a bien mis en garde contre les habitants de ce pays et des dangers que je courre à me promener seul.
Bon, voilà de l'eau, je vais me laver tout de suite. J'aviserai ensuite de ce que je dois faire. Pour m'organiser et m'installer une couche. Avec Anita ? Oh oh, ce serait des plus agréable !

6

Ma tendre Anita, si tu savais comme cela me fait du bien d'être à tes côtés dans ce pays. Quand je me suis réveillé j'ai pris peur. Puis Milmo a surgi au détour d'un chemin et je me suis senti moins seul. Mais là de me promener avec toi, de me remémorer notre enfance et de voir que nos cœurs battent toujours l'un pour l'autre après tant d'années, je me sens léger comme l'air.
Si j'étais un peu plus jeune je me mettrais à gambader dans tous les sens comme ton jeune frère, mais ce n'est plus de mon âge. Et puis je ne suis pas encore totalement remis de mon déplacement. Regarde Roxao comme il s'amuse.
Oh ! Il me semble qu'il y a du mouvement sur l'autre versant. Attention, apparemment ce ne sont pas des amis. Roxao ! Reviens, vite. Dépêche-toi ! Ils ont lâché les chiens. Ils tirent.
Anita, non ! Reste là. C'est trop tard pour lui. Ils viennent de l'abattre à distance. Nooonn Anita, n'y va pas. Ils vont te tuer toi aussi. Reviens. Anitaaaaaaa !
Mais c'est des fous dans ce bled. C'est pas possible d'être aussi con. Ils nous canardent comme à la foire. Et merde, ça fait mal leur connerie. V'là maintenant que je suis blessé. Putain, mais ce sont des barbares dans le coin.
Et les chiens qui accourent ! Mais c'est pas vrai, qu'est-ce qu'ils nous veulent ? Bordel mais je fais quoi moi ici ? Milmo me l'avait dit mais je n'y croyais qu'à moitié, je pensais qu'il voulait me foutre la trouille. Mais non je suis bien dans un pays de sauvages. Ben mon colon si c'est ça la France !
J'étais bien dans mon petit coin de verdure à m'envoyer des champis et quelques alcools de fermentation spontanée. Et là maintenant je me retrouve je sais pas où avec des tarés qui me tirent dessus. C'est...
Putain, mais merde, arrêtez de nous canarder. Nous n'avons rien fait de mal. Nous essayons juste de survivre.
Anitaaaa, noooonnn. Pas toi, pas maintenant. Anitaaaa !
Ouch ! Deuxième impact, mais je ne peux pas laisser Anita aux mains de ces sanguins.
J'arrive Anita.
Je pisse le sang. Putain que ça fait mal. Je suis en train de crever loin de chez moi.
J'arrive pour t'enlacer Anita. Tu es Agonisante, couchée sur le cadavre chaud de ton frère je m'étends à tes côtés. Mon regard se trouble. Anita. Merdeeeeeeeeeee

7

AFP - 23 juin 2013 - 11h02
Suite au massacre d'ours hier dans les Pyrénées, les écologistes dénoncent le Groupement Ariégeois Contre la Réintroduction de l'Ours - le GACRO - d'avoir commandité l'opération mais aucune preuve ne permet à ce jour d'étayer ces accusations.
Selon l'Office National de la Chasse, avec la mort des trois individus, il ne resterait plus que quatre ours vivant entre la France et l'Espagne. Une menace pour la survie de l'espèce a déclaré le porte-parole de l'ONC, Charles Dubois.

AFP - 23 juin 2013 - 12h12
Le GACRO se félicite de la disparition progressive de l'ours dans les Pyrénées ariégeoises.
M. Sébastien Bourru, Président de l'association, tout en déplorant l'acte, demande aux Pouvoirs Publics de prendre leurs responsabilités et d'annuler les projets de nouvelles réintroductions d'ours Slovènes.
Le GACRO demande également que les individus encore présents soient capturés et renvoyés chez eux ! Avant qu'un nouveau massacre ne soit perpétré pas des habitants ulcérés par des décisions prises sans concertation par des utopistes et écologistes parisiens qui n'y connaissent rien en ruralité.

AFP - 23 juin 2013 - 13h15
M. Zilovski Andreas, Ambassadeur de Slovénie en poste à Paris, se dit outré de la mort des trois ours que son gouvernement avait envoyé en France pour contribuer au repeuplement d'une population en voie d'extinction. Dans mon pays, a-t-il déclaré, nous vivons en parfaite harmonie et en bon voisinage avec de nombreux ours et nous ne déplorons aucun accident de ce genre. Le gouvernement Français ne semble pas vouloir accueillir avec le sérieux nécessaire ces animaux. Ni vouloir informer et éduquer ses citoyens à partager leur environnement avec une espèce qui fait la joie des Slovènes et la renommée touristique de notre pays.
M. Zilovski a ajouté que son gouvernement pourrait remettre en question les prochaines captures d'ours Slovène à destination des Pyrénées Français si aucun effort n'était consenti par l'État français pour assurer leur impunité et leur survie.
Ces propos viennent compléter les déclarations de la Direction Générale de l'Environnement de la Communauté Européenne, qui se dit scandalisée par cette mise à mort et qui suspecte le gouvernement français de ne rien mettre en œuvre pour protéger ses ours et respecter les termes de la convention de Berne ratifiée par la France en 1979.

AFP - 23 juin 2013 - 14h22
Le Ministère de l'Écologie, de la Chasse et de la Pêche dénonce le meurtre des trois ours tôt ce matin dans le département de l'Ariège. Mme Paule Tirdaborh s'engage à ce que tout soit mis en œuvre pour retrouver les criminels et rassure M. Zilovski, ambassadeur de Slovénie, quant à la mise en place d'un plan de protection pour les ours Slovènes réintroduits dans les Pyrénées.
M. Raoul Pivère, Président de la Ligue pour la Réintroduction des Grands Prédateurs, accuse le GACRO d'être responsable de ce massacre. L'association de M. Bourru excite les ariégeois en jouant sur la peur ancestrale de l'ours et crée par ses déclarations une tension locale propice à ces meurtres. Les propos de M. Bourru sont des provocations et des appels à la chasse à l'ours, a-t-il déclaré.
M. Pivère annonce que son association a décidé de porter plainte contre X devant la Cour Européenne des Droits de l'Animal pour meurtres avec préméditation.

8

J'en ai marre de cette vie, toujours à l'affût du moindre bruit suspect. Depuis le meurtre de Boris, Anita et Roxao je ne dors plus.
Si je pouvais je rentrerais au pays, mais c'est trop loin. Je me ferais prendre avant d'y arriver. Encore que s'il me capture vivant j'aurais de la chance. Vu la peur panique des français, je n'aurais pas fait deux kilomètres que je serais abattu. Sans sommation.
Mais ici j'ai l'impression d'être en cage et la cible des allumés du coin à la gâchette facile. Tout ça pour s'enorgueillir d'avoir tué le dernier ours des Pyrénées. Quel bande de lâches. Qu'ils me donnent un fusil que l'on combatte à arme égale, si ce sont des hommes ! Mais non, ils nous tirent dessus à distance. Comme des lapins. La plupart du temps nous n'avons même pas le temps de sentir leur présence, le danger qu'ils représentent, que BAM nous sommes morts.
Puisque c'est comme ça je vais leur montrer ce dont je suis capable. Ah nous sommes des égorgeurs de bétail. Je m'en vais te leur en donner moi des raisons de nous exterminer. De toute manière il n'y a plus de place pour nous dans ce pays. Alors pourquoi devrais-je survivre ? Pour faire plaisir à quelques écologistes ? Pour dynamiser l'industrie touristique de la région ? Foutaises.
Ça suffit !
Allez mon gars, prends la première route et cherche le premier hameau. Ah ils veulent la peau de l'ours.
Là, des bâtisses.
Maintenant je me dresse sur mes pattes arrières. Je pousse un grognement à réveiller les morts. Les griffes dehors, la gueule ouverte, je me rue vers leurs maisons.
Ça y est ils m'ont entendu.
Ils m'ont vu.
Ils s'affolent. Ils crient.
Moins fort que moi mais eux c'est de panique.
Je vois pointer un fusil.
Il détone.
Je tombe.
Même pas mort.
Je me relève.
Grogne à gorge déployée.
Deuxième balle.
Ce sera la dernière.
Je verse mon sang sur cette terre impure.
Heureux. Enfin libéré de cette prison végétale.
Quelle espèce d'abrutis ces humains !
C'est ça une espèce évoluée ?
Laissez-moi mourir de rire.